le lieu de départ
du travail de craig fisher, peintre new-yorkais né en 1951,
est la toile déroulée sur une grande surface du sol
de l’atelier. cette toile constitue le support, le receptacle,
la cible de diverses interventions du peintre abandonné à
lui-même.
celui-ci semble d’abord ne pas vouloir chercher à “faire
tableau”. ses premiers gestes ne sont pas motivés par
la volonté de placer une figure, ou de former une véritable
structure de composition. ils ont essentiellement pour but de reporter
à plus tard l’instant d’une inscription volontaire
et affirmée. l’utilisation de la toile libre, non prepare
est l’occasion de formation de points de tension, de zone
de rétraction de la toile, en particulier autours des “blocs”,
déversements de peinture formant des surépaisseurs
au recto comme depuis le verso. lorsque cette première étape
s’acheve – moment déterminé par un mélange
de hasard et d’arbitraire –, les limites, l’espace
du tableau sont véritablement affirmé dans la découpe
et le prélévement d’ une partie de la toile
ainsi peinte, avant la poursuite du travail de peinture, une fois
le support tendu et marouflé sur un châssis. la toile
n’est alors plus vierge mais maculée de toutes les
traces d’activité anterieurs, et il s’agit pour
le peintre de prendre en compte cet “étant donné”.
pour autant, sont travail ne se limite pas à une simple adaptation
de son geste à une situation qui le déterminerai entièrement.
fisher poursuit en effet toutes ses experiences – gestes,
traces, empreintes, projections – au cour de laquelle il se
révéle curieux d’observer, ce qu’il est
susceptible de provoquer. la toile perméable laisse remonter,
depuis son envers, les traces et vestiges des interventions précédentes.
ainsi, une trace blanche réalisée à la brosse
au verso laissera son empreinte en negatif au milieu d’une
zone colorée dont l’ imprégnation réapparaît
sur le recto, avant d’y être parfois – mais non
systematiquement – marqué d’un point ou d’un
cercle autrement colorée. du travail d’ imprégnation,
de peinture recto-verso nait la sensation d’une épaisseur,
d’une profondeur quasi aquatique parfois. la peinture semble
ainsi prise en sandwich entre deux toiles, dans une tension perpétuelle
entre détermination et indétermination, entre faire
et laisser-faire. toutes ces opérations ces interventions
peuvent parfois paraitre dispersées, mais dans cet éclatement
le tableau advient et parvient à soutenir le regard.
les toiles récentes laissent apparaître des coloris
plus vifs et contrastés que les tonalitiés rompues,plus
sourdes, des oeuvres precedents. certaines ne sont travaillées
que d’un côté, marquant la volonté de
fisher de ne pas s’enfermer dans un système de procédures,
en méme temps qu’elles mettent en jeu, dès le
début de leurs élaborations, une tension plus grande
entre l’aléatoire, l’ opportunisme des maculatures
et inscriptions, et la maîtrise de l’artiste dans son
intention, malgré tout , d’atteindre la tableau.
autant que les matériaux et les outils, craig fisher manipule
le souvenir de l’histoire de la peinture et des différents
mouvements picturaux : ainsi est-il l’héritier de la
déconstruction du tableau enterprise par supports-surfaces,
tandis que la photographie qui le montre dans l’atelier rappelle
celles qu’hans namuth réalisa de pollock au travail,
tantôt s'activant autour de la toile, tantôt l’observant
longuement. cette oeuvre convoque également et diversement
les souvenirs simultanés de klee, miro, hantaï , des
peintres du color field, ou encore bonnefoi, par l’epaisseur
conferee au plan et l’inscription du geste constamment retardée.
malgré ces multiples références qui témoignent
de la conscience historique du peintre, son oeuvre ne se donne pas
dogmatique ou obéissant à l’application d’un
programme préetabli. premier et curieux observateur de ce
qui advient au cours de son travail, craig fisher parvient à
maintenir dans son oeuvre le sentiment qu’il s’agit
là d’une suite légère d’improvisations
et de divertissements.
© cédric
loire
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